La Californie, sa mythique côte, son sable, ses saveurs (2ème acte)

Publié le par 3643eur

L’une des choses les plus cocasses lorsqu’on voyage en Californie, c’est qu’on a tôt fait de passer par un lieu déjà vu dans un film, si ce n’est le titre même d’une série. Justement, Santa Barbara est sur la route. Hop, on y fait halte le temps de goûter un sublime pavé de bœuf au poivre accompagné d’un scintillant Pinot noir de la Russian Valley, une alternative tout aussi raffinée, moins surfaite et meilleure marché aux vins de la Nappa Valley. Les deux se marient parfaitement et le service est à la hauteur. En sortant, je fume un Romeo Y Julieta cubain acheté au duty free de Hanoi à bon prix. Quelques instants après le coup d’allumette, on tombe sur la vitrine d’un tatoueur encore au travail. Dans sa vitrine, une Harley-Davidson retravaillée version minimale-bricolage. Un vrai bolide toutefois. Notre déambulation à quatre roues commence vraiment bien.


102

 

 

Il continue le lendemain par le village pseudo-danois de Solvang avec des maisons et des bâtiments publics à colombages censés être l'oeuvre d’anciens émigrés danois. Les vrais Danois d’aujourd’hui rigolent bien en voyant tout ça, n’empêche que cela donne un cachet sympathique et décalé à cette ville de l’intérieur des terres.    Qui du coup vaut un écart sur le plan de route.

Notre capot bleu nuit file sous le ciel complètement dégagé. Et même si la température ne décolle pas – on met donc le chauffage dans l’habitacle tout en ayant le toit ouvert, il faut bien ruser un peu -, on prend du plaisir à se laisser glisser le long des rubans de bitume. En fin de journée, on s’arrête au Pleasant Motel de Morro Bay, soit un établissement entretenu avec soin, et qui a gardé tout son cachet des années 50. Manquait plus que le toutou à bandana pour se sentir ce que nous ne sommes pas : un couple de Californiens en vadrouille.

 

113

 

Le soir, on manque jeûner. Puisque nous sommes hors saison touristique, les deux tiers des restaurants sont fermés. Et ceux qui restent ouverts ferment aux heures impossibles de 20 ou 21h. Mieux valait le savoir. On débusque finalement une pizzeria de livraison rapide avec un coin où manger. Le serveur d’à peine 20 ans n’a jamais entendu parler de la Suisse, mais il nous aime bien et nous aussi. Alors on cause de l’Amérique, dont il n’a encore rien vu à bien 20 ans passés. Au moment de manger, là encore, c’est un disque solaire dans des variations de rouge et de blanc qui atterrit sur notre table. Pour ne pas devoir expulser poivre, sel, serviettes et verres d’eau, elle repose sur un châssis de métal qui la surélève de la table. 

 

110

 

Morro Bay se distingue par une petite montagne qui se dresse à l’entrée de la baie. On y fait un court pèlerinage pour une séance photo avant de mettre cap au nord.  Quelques virages, encore timides se font sentir et nous atteignons Pismo Beach. On y accède via un camping ouvert à l’année où s’aligne une collection de camping-trucks XXL rutilants et hérissés de drapeaux US, voire sudistes pour les plus délirants d’entre eux. Sorte de caravansérail d’hiver pour baroudeurs deluxe, l’endroit est parfaitement silencieux et on ne voit pas âme qui vive. On y laisse notre carrosse pour suivre un sentier de sable fin qui débouche quelques mètre plus loin sur un océan de dunes. Il n’y a dès lors plus que le ciel, et ces gigantesques moutonnements ocres. L’endroit possède ce mystère fabuleux qu’on avait déjà apprécié dans le désert de Gobi en Mongolie. On s’y promène, on y médite un peu. J’ai personnellement plus de mal  à me plonger dans l’exercice car des bruits de moteurs se font entendre. Au loin, des quads et des motos batifolent à grand bruit dans ces collines pelées. Voilà donc la raison de ce camp de vacances au demeurant désert.


118 

 

C’est le lendemain que notre route prend un tour spectaculaire en laissant dernière nous des paysages de plaines pour venir se faufiler entre des collines, parfois des falaises, et les longues vagues du Pacifique. Les virages tiennent le plus souvent de la mythique montée vers Zinal, et le décor n’a pas d’égal. Le ciel, toujours ce fameux ciel d’un bleu clair intense et vibrant, sert de toile de fond à des danses de nuages dramatiques. Ils s’élancent dans le lointain comme des flammes de coton. Ils forment des séries de petits paquets ouatés qui ponctuent l’horizon. Parfois, ils s’emballent, grossissent, noircissent, vibrent de leur puissance naturelle prêts à déclencher de sourdes tempêtes – auxquelles on aura droit. Surtout, la lumière change sans arrêt. Elle éclaire avec chaleur tout ce qu’elle touche offrant à la terre, aux buissons, aux vagues un éclat particulier, une vibration presque magique.

 

 

121 


Mais nous avons déjà rendez-vous ce soir chez nos amis Mark et Jana qui habitent à Menlo Park, siège de Facebook par ailleurs, dans la baie de San Francisco, et qu’il y a encore du chemin jusque-là. Alors on ne s’attarde pas. Sans forcer, mais sans s’arrêter aussi souvent qu’on l’aurait voulu, on remonte cette côte sublime.


 125

 

 

En même temps que le crépuscule aspire les derniers rayons la météo se gâte. A ce moment-là,  nous descendons la route qui relie Santa Cruz – capitale du surf – à Palo Alto. La conduite se transforme bientôt en pilotage. En effet, le métier d’ingénieur civil et les normes américaines en matière de construction de routes sont ce qu’elles sont. Mais elles produisent quelques passages impayables comme celui-là. Imaginez le vénérable Cuche dans une descente de géant. Et bien c’est la même chose, de nuit, avec la route détrempée par les averses qui s’abattent désormais, et des voitures plus des camions qui fusent à droite, à gauche. On traverse donc une zone de grand 8 routier à haute vitesse où les tôles se froissent régulièrement, si on ne compte pas les enterrements qui suivent parfois. Le coin mériterait pour sûr quelques aménagements.

 124

 

 

Notre arrivée chez Jana et Mark estompe instantanément ces sueurs froides. Nous avons été mis en contact via Martine et Daniel qui les avaient eux-mêmes rencontrés lors d’un voyage en Inde deux semaines auparavant ! Ceci étant, nous nous sentons immédiatement comme à la maison, entourés d’attention(s), sollicités pour savoir comment se déroule notre voyage, par où nous sommes passés, savoir ce que nous avons vu, vécu.

 

127

Grâce à eux, nous visiterons le site de la fameuse université de Stanford, avec son impressionnant musée d’art. Nous nous promènerons, lors d’une après-midi entre pluie et soleil, dans le parc de l’université d’où l’on aperçoit la baie. Nous essaierons, en vain, de faire un test drive de la dernière Tesla. En bons Suisses presque naïfs nous n’avions pas considérés un éventuel délai d’attente. 6 semaines dans ce cas. Jana nous amènera ensuite au siège de Facebook pour une visite…qui tombe à l’eau car FB ne se visite pas, sauf si l’on a un « friend » qui y travaille. Avis aux amateurs donc. On se marre tout même de voir le réseau « social » si peu sociable. On lui aura préféré le Facebook restaurant de Katmandou où les dhals bat, thalis et autres palak paneers réchauffaient l’estomac. Nous gardons, justement, un excellent souvenir du frigidaire de Mark et Jana, qui, en amateurs de fromage qu’ils sont, n’en manquait justement pas. Après ces longues semaines de privation, quel intense sentiment…


 

132

 

 

Deux jours plus tard, nous reprenons la route. – dans une simple Toyota, cette fois. Direction Santa Cruz pour visiter le musée du surf – aussi grand qu’une cabane de jardinier, génialement authentique. Puis « Killing me softly », au cinéma le soir. Un film sombre et façonné comme une tragédie sur la ruine du rêve américain. Notre logeuse est indienne, la chambre aux standards américains des années 60. Avec toujours ce monumental couvre-lit qui exige presque un bras hydraulique pour être repoussé de côté.

 


130

 


Le lendemain le ciel est gris. La journée se passe à jongler avec les averses. C’est tant mieux car le Pacific réserve des couleurs captivantes quand il réagit aux humeurs des cumulus qui tantôt s’agglomèrent avant de se disloquer. La région semble suspendue dans une dimension particulière. Avec des fermes, des bois, des collines et des parcelles de terre qui viennent s’arrêter net sur des falaises jaunes. En bas, les vagues molestent avec lenteur les rochers. Des gerbes de vapeur fusent tandis que des rocs disparaissent durant plusieurs secondes avant de refaire surface et de laisser couler de leur sommet des torrents d’eau anthracite.


 

135

 

 

On se fait tremper pour visiter le phare en reconstruction de Pigeon point. Puis c’est la balade dans Butano Park pour aller se frotter à quelques sequoias certes rouges, mais pas très géants. Il n’y a personne. Les aires de pique-nique sont évidemment désertes et une légère brume enveloppe fourrés et sous-bois de cette zone classée réserve naturelle. La balade se fait dans un silence étrange. Tous les dix mètres, on croise une salamandre qui se dandine courageusement sur le sentier. Alors qu’on redescend vers la voiture, derrière un groupe d’arbrisseaux, émerge un grondement  sourd, rauque et puissant, et des feuilles sont chassées deci-delà avec force. On ne rigole plus. Du tout. Ce bruit est celui d’une grosse chose, et ce n’est pas une vache. Rien ne sert de fuir, au contraire. Alors on reprend notre discussion, à très haute voix, et on fait en sorte que les manches de nos vestes fassent beaucoup de bruit quand elles viennent frotter sur nos côtés. On repart, sans forcer l’allure. Le silence est revenu. On fait durer ce petit manège assez longtemps pour que le grognement se transforme en souvenir. On apprendra par la suite qu’il arrive que des promeneurs se fassent attraper par des lions sauvages, encore bien présents dans la région. On ne sait pas si c’en était un. Mais notre instinct nous a dit clairement de ne pas chercher à le savoir.


 144

 

 

Nous sommes maintenant très près de San Francisco. Trop près pour ne pas y aller en fait. Il pleut encore lorsqu’on fait un aller-retour de nuit sur le Golden Gate pour marquer le coup. J’avais aussi repéré un concert de rock-punk. On atterrit dans un club absolument punk et cuir noir avec des groupes qui s’entassent à 7 sur une scène grande comme une cuisinière. Il y a des fous, des tatouages jusque sur les murs. On se sent très à l’aise avec nos vestes sportives étanches et colorées. Par chance, c’est SF avec ce qu’il faut d’ouverture d’esprit. Après 2 heures et demi de distorsion totale dans les tympans, on se retape la santé avec un repas salvadorien plus bas dans la rue. Après ce premier contact avec LA ville, on retourne chez Mark et Jana bienheureux.

 

 

151

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article